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EN QUITTANT LA BELGIQUE

Mais non, la république n’est pas morte !

Citoyens, je le déclare, elle n’a jamais été plus vivante. Elle est dans les catacombes, ce qui est bon. Ceux-là seuls la croient morte qui prennent les catacombes pour le tombeau. Amis, les catacombes ne sont pas le sépulcre, les catacombes sont le berceau. Le christianisme en est sorti la tiare en tête ; la république en sortira l’auréole au front. La république morte, grand Dieu ! mais elle est immortelle ! Mais à quel moment dit-on cela ! au moment où elle a, en France seulement, deux mille massacrés, douze cents suppliciés, dix mille déportés, quarante mille proscrits ! La république morte ! mais regardez donc autour de vous. La terre d’exil, les pontons, les bagnes, Bellisle, Mazas, l’Afrique, Cayenne, les fossés du Champ de Mars, le cimetière Montmartre, sont pleins de sa vie ! Citoyens, la démocratie, la liberté, la république est notre religion à nous. Eh bien ! passez-moi cette expression, les martyrs sont le combustible des religions. Plus il y en a dans le brasier, plus la flamme monte, plus l’idée grandit, plus, la vérité illumine. À cette heure, proscrits, je le répète, la république est plus vivante et plus éblouissante que jamais, ayant pour splendeur toutes vos misères.

Et, au besoin, je n’en voudrais pas d’autre preuve que ce reflet d’on ne sait quelle aurore qui éclaire en ce moment tous vos visages, à vous, bannis, qui m’entourez. Qu’y a-t-il en effet dans vos yeux et sur vos fronts ? La joie. La sainte joie des victimes. Sans compter la ville natale évanouie, la fortune perdue, le travail brisé, le pain qui manque, les habitudes rompues, le foyer détruit, chacun de vous a au cœur un père, une mère, des frères, des enfants, dont il a fallu se séparer, une femme aimée et quittée, quelque amour meurtri et saignant ; vous souffrez, vous vous tordez sur ces charbons ardents ; mais vous levez la tête, et votre œil dit : nous sommes contents. C’est que vous savez que la république, votre foi, votre idée-patrie, puise une vie nouvelle dans vos tortures. Vos douleurs sont une affirmation. Le bûcher flamboie ; le martyr rayonne.

Vive la république, citoyens !

(On crie : Vive la république ! Une voix dit : Un mot aux amis belges ! Victor Hugo continue :)