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THÉÂTRE EN LIBERTÉ.

Il lui prend le bras et lui tâte le pouls.

Allons, revenez donc à vous, ma bonne femme.

Il laisse retomber la main de Zineb.

Je l’ai vue hier encor cueillir la jusquiame ;
Étant sorcière, elle a cette herbe en amitié.
— Sur ma foi, tout à l’heure elle m’a fait pitié.
Comme on vous la traquait dans les routes tortues !
Ils étaient tous armés de cent choses pointues,
L’archer, le paysan, le sergent, le truand ;
C’était comme un essaim de guêpes se ruant ;
Les mouches essayaient de prendre l’araignée.
Je l’ai dans le taillis brusquement empoignée,
Et, je ne sais comment j’ai fait, j’ai réussi
À la traîner, sans être aperçu, jusqu’ici.

Il la regarde et prend entre son pouce et son index une mèche
de ses longs cheveux gris.
À cet âge, la femme est d’attraits dépourvue.

— Je vois Zineb avec plaisir. — Au point de vue
De la luxure, elle est hideuse ; mais elle a
De la science autant que feu Campanella.

Il se penche à son oreille et l’appelle.

Hé ! Zineb !

Hé ! Zineb ! Se redressant.

Hé ! Zineb ! Elle s’est en route évanouie.

L’appelant de nouveau.

Zineb ! — A-t-elle encor la parole et l’ouïe ?

Considérant Zineb immobile.

Si ce qu’on dit est vrai, souvent tu chevauchas
Sur des balais, parmi les diables et les chats,
Et tu fus à minuit une stryge dansante ;
Cela n’empêche pas que pour toi je ne sente
Considération distinguée, et respect.
Je connais un sabbat plus que le tien abject,
C’est le monde.

Le bras de la sorcière bouge. Sa paupière se soulève.
C’est le monde. Un soupir ! bon, elle se réveille.
Il se penche.

Hé bien, nous ouvrons donc les yeux, ma pauvre vieille.

La sorcière se dresse lentement sur son séant, écarte ses cheveux gris de son front et de ses yeux, et le regarde.