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qui échappait à l’une était ressaisi par l’autre. L’avenir ne voudra pas croire à ces prodiges d’acharnement. Un ouvrier passait sur le Pont-au-Change, des gendarmes mobiles l’arrêtent ; on lui flaire les mains. – Il sent la poudre, dit un gendarme. On fusille l’ouvrier ; quatre balles lui traversent le corps. — Jetez-le à l’eau ! crie un sergent. Les gendarmes le prennent par la tête et par les pieds et le jettent pardessus le pont. — L’homme fusillé et noyé s’en va à vau-l’eau. Cependant il n’était pas mort ; la fraîcheur glaciale de la rivière le ranime ; il était hors d’état de faire un mouvement ; son sang coulait dans l’eau par quatre trous, mais sa blouse le soutint, il vint échouer sous l’arche d’un pont. Là des gens du port le trouvent, on le ramasse, on le porte à l’hôpital, il guérit ; guéri, il sort. Le lendemain on l’arrête et on le traduit devant un conseil de guerre. La mort l’ayant refusé, Louis Bonaparte l’a repris. L’homme est aujourd’hui à Lambessa.

Ce que le Champ de Mars a vu particulièrement, les effroyables scènes nocturnes qui l’ont épouvanté et déshonoré, l’histoire ne peut les dire encore. Grâce à Louis Bonaparte, ce champ auguste de la Fédération peut s’appeler désormais Haceldama. Un des malheureux soldats que l’homme du 2 décembre a transformés en bourreaux raconte avec horreur et à voix basse que dans une seule nuit le nombre des fusillés n’a pas été de moins de huit cents.

Louis Bonaparte a creusé en hâte une fosse et y a jeté son crime. Quelques pelletées de terre, le goupillon d’un prêtre, et tout a été dit. Maintenant, le carnaval impérial danse dessus.

Est-ce là tout ? Est-ce que cela est fini ? Est-ce que Dieu permet et accepte de tels ensevelissements ? Ne le croyez pas. Quelque jour, sous les pieds de Bonaparte, entre les pavés de marbre de l’Elysée ou des Tuileries, cette fosse se rouvrira brusquement, et l’on en verra sortir l’un après l’autre chaque cadavre avec sa plaie, le jeune homme frappé au cœur, le vieillard branlant sa vieille tête trouée d’une balle, la mère sabrée avec son enfant tué dans ses bras, tous debout, livides, terribles, et fixant sur leur assassin des yeux sanglants !

En attendant ce jour, et dès a présent, l’histoire commence votre procès, Louis Bonaparte. L’histoire rejette votre liste officielle des morts et vos « pièces justificatives ». L’histoire dit qu’elles mentent et que vous mentez.

Vous avez mis à la France un bandeau sur les yeux et un bâillon dans la bouche. Pourquoi ?

Est-ce pour faire des actions loyales ? Non, des crimes. Qui a peur de la clarté fait le mal.

Vous avez fusillé la nuit, au Champ de Mars, à la Préfecture, au Palais de justice, sur les places, sur les quais, partout.

Vous dites que non.