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LAFONT ET PAGANINI. 111

épreuves semblables sont toujours dangereuses, parce que le public y voit un duel dans lequel il faut qu’il y ait une victime, et qu’il en serait sans doute ainsi dans cette circonstance ; car il était reconnu pour le plus habile violon de France, et par indulgence, on me faisait l’honneur de me considérer comme le premier violon de l’Italie. Lafont ne se rendant pas à mes objections, il ne me resta plus qu’à relever le gant qui m’était jeté. Je lui laissai le soin de régler le programme, qui fui disposé de cette manière : je jouai un concerto de ma composition, puis Lafont joua un des siens, après quoi nous exécutâmes ensemble la symphonie concertante de Kreutzer pour deux violons. Dans ce morceau je jouai exactement ce qui était écrit lorsque les deux violons jouaient ensemble ; mais dans les solos, je m’abandonnai à ma fantaisie d’italien, et improvisai sur l’accompagnement des choses nouvelles, ce qui ne parut pas plaire à mon aimable adversaire. Après ce morceau d’ensemble, Lafont joua ses variations sur un thème russe, et je terminai le concert par mes variations de Streghe. Lafont avait peut-être sur moi l’avantage de la beauté du son, mais les applaudissements du public m’ont bien fait comprendre que je n’avais pas eu le dessous dans la lutte."

Paganini nous donne ainsi avec une grande simplicité la mesure et le caractère du talent de Lafont comme virtuose : On ne peut nier, ajoute Fétis, que Lafont ait montré beaucoup d’imprudence dans cette circonstance. Nul doute qu’il ait eu des qualités classiques plus pures et plus analogues au goût français de son temps que Paganini, nul doute qu’il eût le son plus volumineux et plus égal, mais sous le rapport de la fantaisie originale, de la poésie du jeu et de la difficulté vaincue, il ne pouvait se mettre en comparaison avec son antagoniste. Dans un concert du Conservatoire de Paris, en 1816, la palme aurait été peut-