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la glace, qui était si transparente, qu'on pouvait distinguer facilement la position de ces imprudentes bêtes ; on eût dit qu'elles étaient encore à nager. Les aigles et les corbeaux leur avaient arraché les yeux.

On rencontre fréquemment des bœufs sauvages dans les déserts du Thibet antérieur. Ils vont toujours par troupes nombreuses, et se plaisent sur les sommets des montagnes. Pendant l'été, ils descendent dans les vallées pour se désaltérer aux ruisseaux et aux étangs ; mais pendant la longue saison de l'hiver, ils restent sur les hauteurs, et se contentent de manger de la neige et quelques herbes d'une extrême dureté. Ces animaux sont d'une grosseur démesurée, leur poil est long et noir, ils sont surtout remarquables par la grandeur et la forme superbe de leurs cornes. Il n'est pas prudent de leur faire la chasse, car on les dit extrêmement féroces. Quand on en trouve quelques-uns qui se sont isolés des troupeaux, on peut se hasarder à les mitrailler ; mais il faut que les chasseurs soient en grand nombre, pour bien assurer leurs coups. S'ils ne tuent pas le bœuf, il y a grand risque qu'il ne coure sur eux et ne les mette en pièces. Un jour, nous aperçûmes un de ces bœufs qui s'amusait à lécher du nilre dans une petite enceinte entourée de rochers. Huit hommes, armés de fusils à mèche, se détachèrent de la caravane, et allèrent se poster en embuscade sans que le bœuf les aperçût. Huit coups de fusils partirent à la fois ; le bœuf leva la tête, regarda avec des yeux enflammés d'où partaient les coups, puis il s'échappa au grand galop ; et se mit à bondir dans la plaine en poussant des mugissements affreux. On prétendit qu'il avait été blessé, mais qu'effrayé à la vue de