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Ces quatre infortunés disciples étaient les camarades de route que notre bonne fortune nous avait fait rencontrer. Le souvenir de leur maître déchu les poursuivait sans cesse, et les sentiments que ce souvenir excitait en eux n'étaient pas toujours les mêmes. Tantôt, ils regardaient leur maître comme un saint, et tantôt comme un voleur. Un jour, ils prononçaient son nom avec vénération, et en portant leurs mains jointes au front ; un autre jour, ils le maudissaient, et crachaient en l'air en signe de mépris. Le Lama du Torgot surtout ne voyait que du bleu dans cette malencontreuse affaire. Il se reprochait parfois d'avoir fait offrande de tous ses troupeaux à un homme qui commençait à avoir passablement toutes les apparences d'un fripon. Cependant, il se consolait facilement de sa duperie ; car, au bout du compte, elle lui avait fourni l'occasion de courir le monde, et de visiter les lamaseries les plus célèbres. Au fond, ces quatre Lamas étaient d'excellents jeunes gens et de bons compagnons de voyage. Tous les jours, ils avaient à nous raconter quelques nouvelles particularités de leurs longues aventures, et leurs récits contribuèrent plus d'une fois à nous faire oublier un instant les fatigues et les misères de la route.

Une cause permanente des souffrances que nous eûmes à endurer en route, fut, sans contredit, notre pro-chamelier Charadchambeul. Dès l'abord, ce jeune Lama nous avait paru un petit saint ; mais, dans la suite, nous nous aperçûmes que nous emmenions avec nous un petit diable à face humaine. L'aventure suivante nous ouvrit les yeux sur son compte, et nous fit entrevoir tout ce que nous aurions à souffrir de sa présence.