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fûmes tous invités au Palais jaune pour réciter les prières. Avant que la cérémonie commençât, j'étais fort tranquille à ma place, tenant mon livre sur mes genoux, lorsque ce méchant Lama s'avança tout doucement derrière moi. Il approcha sa tête par-dessus mon épaule, comme pour lire dans le livre, ou plutôt pour me contrefaire ; car il essayait d'imiter ma manière de bourdonner au chœur. Alors, la vapeur me montant à la tête, je lui donnai avec le poing un si rude coup sur la figure, qu'il alla tomber à la renverse, à quelques pas de moi. Cette aventure fit un grand éclat dans le Palais jaune. Les supérieurs en furent instruits, et d'après les règlements sévères de la discipline thibétaine, je devais être flagellé pendant trois jours avec le fouet noir ; puis, les fers aux pieds et aux mains, enfermé dans la tour de la lamaserie pendant un an. Un des chefs, qui me connaissait et s'intéressait un peu à moi, se fit entremetteur. Il alla trouver les Lamas du tribunal de discipline, et leur dit, — ce qui était très-conforme à la vérité, — que le disciple que j'avais frappé aimait à vexer tout le monde, qu'il m'avait poussé à bout. Il parla si bien en ma faveur, qu'il finit enfin par obtenir ma grâce. J'en fus quitte pour faire une réparation. Je fis en sorte de rencontrer sur mes pas le Lama que j'avais offensé. « Frère aîné, lui dis-je, est-ce qu'aujourd'hui nous ne boirons pas ensemble une tasse de thé ?... — Sortons boire du thé, me répondit-il ; quelle raison aurais-je pour n'aller pas boire du thé ?... Nous nous rendîmes donc dans la rue voisine, et nous entrâmes dans la première maison à thé que nous rencontrâmes. Après nous être assis à une des tables qui se trouvaient dans la salle, je présentai à mon