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j'entendais ma mère m'appeler à grands cris ; mais je me gardais bien de répondre. J'étais même attentif à ne pas faire remuer les broussailles, de peur qu'on ne reconnût ma retraite, et qu'on ne vînt me tuer. Ce qui m'effrayait le plus, c'est que j'entendais beaucoup de monde crier et se disputer. Quand la nuit fut passée, je sentis dès le matin une faim dévorante ; je me mis alors à pleurer ; encore même je n'osais pas pleurer tout à mon aise, j'avais toujours peur d'être entendu par les personnes qui passaient sans cesse à mes côtés. J'étais bien déterminé à ne pas sortir de dessous ces broussailles. — Mais est-ce que tu n'avais pas peur de mourir de faim ? — Cette pensée ne m'est jamais venue ; j'avais faim, et voilà tout. Je m'étais caché pour ne pas mourir ; car je pensais que si on ne me trouvait pas, on ne pourrait pas me tuer. — Voyons, achève vite ton histoire ; combien de temps restas-tu dans tes broussailles ? — Tenez, j'ai entendu souvent dire au monde qu'on ne pouvait pas rester longtemps sans manger ; mais on dit ça sans avoir essayé. Pour moi, je suis sûr qu'un enfant de sept ans peut vivre au moins trois jours et quatre nuits sans manger absolument rien.

Après la quatrième nuit, dès le grand matin, on me trouva dans les broussailles. Quand je sentis qu'on venait me prendre, alors je commençai à me remuer ; je mis tout en désordre ; je cherchais à m'échapper. Aussitôt que mon père m'eut saisi par le bras, je me mis à pleurer et à sanglotter. « Ne me tuez pas, ne me tuez pas, criais-je à mon père ; ce n'est pas moi qui ai tué Nasamboyan... »

On m'emporta à la maison, car je ne voulais pas marcher. Pendant que je pleurais, que je me désolais, tout le monde