Page:Huc - Souvenirs d’un voyage dans la Tartarie, le Thibet et la Chine pendant les années 1844-46, tome 1.djvu/359

Cette page n’a pas encore été corrigée

farcies de sang et de farine d'avoine. Ce qu'il y avait de plus remarquable dans cet appareil gastronomique, c'est que tous les intestins avaient été conservés dans toute leur intégrité, et disposés comme on les voit dans le ventre de l'animal. La vieille servit, ou plutôt jeta ce mets grandiose au milieu de nous, sur la pelouse, qui nous servait tout à la fois de siège, de table, de plat, et au besoin même de serviette. Il est inutile d'ajouter que nos doigts seuls nous servaient de fourchette. Chacun saisissait de sa main un lambeau d'entrailles, les arrachait de la masse en les tordant, et les dévorait ainsi sans assaisonnement et sans sel.

Les deux Missionnaires français ne purent, selon leur bonne volonté, faire honneur à ce ragoût tartare. D'abord nous nous brûlâmes les doigts, en voulant toucher à ces entrailles toutes chaudes et toutes fumantes. Les convives eurent beau nous dire qu'il ne fallait pas les laisser refroidir, nous attendîmes un instant, de peur de brûler aussi nos lèvres. Enfin nous goûtâmes ces boudins fabriqués avec du sang de mouton et de la farine d'avoine ; mais après quelques bouchées, nous eûmes le malheur de nous trouver rassasiés. Jamais, peut-être, nous n'avions rien mangé d'aussi fade et d'aussi insipide. Samdadchiemba, ayant prévu le coup, avait soustrait du plat commun le foie et les poumons. Il nous les servit avec quelques grains de sel qu'il avait eu soin d'écraser entre deux pierres. Dé cette manière, nous pûmes tenir tête à la compagnie, qui engloutissait, avec un appétit dévorant, tout ce vaste système d'entrailles.

Quand on eut fait table rase, la vieille apporta le second service ; elle plaça au milieu de nous la grande marmite