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se prosterner à chaque pas dans la boue ou dans la poussière, de courir autour de la lamaserie pendant les froidures de l'hiver ou les chaleurs de l'été, tous ceux-là ont recours au moyen simple et expéditif du tonneau à prières. Ils n'ont qu'à le mettre une fois en mouvement ; il tourne ensuite, de lui-même, avec facilité et pendant longtemps. Les dévots peuvent aller boire, manger ou dormir, pendant que la mécanique a l'extrême complaisance de prier pour eux.

Un jour, en passant devant un des ces tonneaux bouddhiques, nous aperçûmes deux Lamas qui se querellaient avec violence, et étaient sur le point d'en venir aux mains, le tout à cause de leur ferveur et de leur zèle pour les prières. L'un d'eux, après avoir fait rouler la machine priante, s'en allait modestement dans sa cellule. Ayant tourné la tête, sans doute pour jouir du spectacle de tant de belles prières qu'il venait de mettre en mouvement, il remarqua un de ses confrères qui arrêtait sans scrupule sa dévotion, et faisait rouler le tonneau pour son propre compte. Indigné de cette pieuse tricherie, il revint promptement sur ses pas, et mit au repos les prières de son concurrent. Longtemps, de part et d'autre, ils arrêtèrent et firent rouler le tonneau, sans proférer une seule parole. Mais leur patience étant mise à bout, ils commencèrent par s'injurier ; des injures ils en vinrent aux menaces ; et ils auraient fini, sans doute, par se battre sérieusement, si un vieux Lama, attiré par les cris, ne fût venu leur porter des paroles de paix, et mettre lui-même en mouvement la mécanique à prières, pour le bénéfice des deux parties.