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tenus de garder les troupeaux de leurs maîtres ; il ne leur est pas défendu d'en nourrir aussi pour leur propre compte. On se tromperait beaucoup, si on s'imaginait qu'en Tartarie l'esclavage est dur et cruel, comme il l'a été chez certains peuples ; les familles nobles ne diffèrent presque nullement des familles esclaves. En examinant les rapports qui existent entre elles, il serait difficile de distinguer le maître de l'esclave ; ils habitent les uns et les autres sous la tente, et passent également leur vie à faire paître des troupeaux. On ne voit jamais parmi eux le luxe et l'opulence se poser insolemment en face de la pauvreté. Quand l'esclave entre dans la tente du maître, celui-ci ne manque pas de lui offrir le thé au lait ; ils fument volontiers ensemble, et se font mutuellement l'échange de leurs pipes. Aux environs des tentes, les jeunes esclaves et les jeunes seigneurs folâtrent et se livrent aux exercices de la lutte. pêle-mêle et sans distinction ; le plus fort terrasse le plus faible, et voilà tout. Il n'est pas rare de voir des familles d'esclaves devenir propriétaires de nombreux troupeaux,et couler leurs jours dans l'abondance. Nous en avons rencontré beaucoup qui étaient plus riches que leurs maîtres, sans que cela donnât le moindre ombrage à ces derniers. Quelle différence entre cet esclavage et celui qui existait à Rome, par exemple, où le citoyen romain, en faisant l'inventaire de sa maison, classait les esclaves avec le mobilier ! Aux yeux de ces maîtres orgueilleux et cruels, l'esclave ne méritait pas même le nom d'homme ; on l'appelait sans façon une chose domestique ; res domestica. L'esclavage, parmi les Tartares mongols, est même moins dur et moins outrageant pour l'humanité, que