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on ne voit que des arbustes épineux, et des espèces de fougères maigres, poudreuses et d'une odeur fétide. De loin en loin seulement, ce sol affreux produit quelques herbes clair-semées, cassantes, et tellement collées à terre que les animaux ne peuvent les brouter sans labourer les sables avec leurs museaux. Ces nombreux marécages, qui avaient fait notre désolation sur les bords du fleuve Jaune, nous finîmes bientôt par les regretter dans le pays des Ortous, tant les eaux y sont rares et la sécheresse affreuse : pas un ruisseau, pas une fontaine où le voyageur puisse se désaltérer ; on ne rencontre que des lagunes et des citernes remplies d'une eau puante et bourbeuse.

Les Lamas avec lesquels nous avions été en rapport dans la Ville-Bleue, nous avaient prévenus des misères que nous aurions à endurer dans le pays des Ortous, surtout à cause de la rareté des eaux ;. d'après leur conseil, nous avions acheté deux sceaux en bois, qui nous furent effectivement de la plus grande utilité. Quand nous avions le bonheur de trouver sur notre chemin des flaques, ou des puits creusés par les Tartares, sans nous arrêter à la mauvaise qualité de l'eau, nous en remplissions nos seilles, et nous en usions toujours avec la plus grande économie, comme on ferait d'une rare et précieuse liqueur. Malgré nos précautions, pourtant il nous arriva plus d'une fois de passer des journées entières sans pouvoir nous procurer une seule goutte d'eau pour humecter un peu nos lèvres. Cependant nos privations personnelles étaient encore peu de chose, en comparaison de la peine que nous éprouvions en voyant nos animaux manquer d'eau presque tous les jours, dans un pays où ils n'avaient jamais à brouter que