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dire. Dans leur regard on eût pu voir qu'ils n'auraient pas été éloignés d'essayer un peu de la saveur des poissons du fleuve Jaune, mais ils n'osaient ; un motif assez grave les tenait en suspens. — Combien vends-tu ton poisson ? — Pas cher, quatre-vingts sapèques la livre. —Quatre-vingts sapèques ! mais c'est plus cher que la viande de mouton. — Parole pleine de vérité ; mais qu'est-ce que le mouton comparé au poisson du Hoang-Ho ? — N'importe, il est trop cher pour nous. Nous avons encore une longue route à faire, notre bourse n'est pas grosse, nous devons la ménager. ... — Le pêcheur n'insista pas ; il prit son aviron, et poussa la barque vers les endroits où étaient les filets qui n'avaient pas encore été retirés de l'eau. — Pourquoi, lui demandâmes nous, jettes-tu tant de poissons ? Est-ce que la qualité est mauvaise ? — Non, tous les poissons du fleuve Jaune sont excellents ; ils sont trop petits, voilà tout. — Ah ! c'est cela ; l'an prochain ils seront plus gros. C'est un calcul, vous patientez pour avoir dans la suite un peu plus de profit. — Le pêcheur se mit à rire. Ce n'est pas cela, nous dit-il, nous n'espérons pas rattraper ces poissons. Tous les ans, le bassin se remplit de nouveaux poissons, qui sont entraînés par les eaux débordées du Hoang-Ho ; il en vient de gros, et il en vient aussi de petits ; nous prenons les premiers, et les autres nous les rejetons, parce qu'ils ne se vendent pas bien. Le poisson est ici très-abondant ; nous pouvons choisir ce qu'il y a de mieux ... Seigneurs Lamas, si ces petits poissons vous plaisent, je ne les lâcherai pas. — La proposition fut adoptée, et le menu fretin, à mesure qu'il se présenta, fut déposé dans une petite seille. Quand la pêche fut terminée, nous nous trouvâmes possesseurs