Page:Huc - Souvenirs d’un voyage dans la Tartarie, le Thibet et la Chine pendant les années 1844-46, tome 1.djvu/237

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


Quoique ce fleuve Jaune, aux allures si sauvages, nous eût déjà beaucoup contrariés, nous aimions à nous promener pendant la nuit sur ses bords solitaires, et à prêter l’oreille au murmure solennel de ses ondes majestueuses. Nous en étions à ces contemplations des grands tableaux de la nature, lorsque Samdadchiemba vint nous rappeler au positif de la vie, en nous annonçant prosaïquement que notre farine d’avoine était cuite. Nous le suivîmes pour aller prendre notre repas, qui fut aussi court que peu somptueux. Ensuite nous étendîmes nos peaux de bouc, sous le portique, de manière à décrire un triangle, au centre duquel nous empilâmes tout notre bagage. Car nous ne pensions nullement que la sainteté du lieu fût capable d’arrêter les filous, s’il s’en fût trouvé aux environs.

Comme nous l’avons dit plus haut, le petit miao était dédié à la divinité du fleuve Jaune. L’idole, placée sur un piédestal en briques grises, était hideuse, comme toutes celles qu’on rencontre ordinairement dans les pagodes chinoises. Sur une figure large, aplatie, et de couleur vineuse, s’élevaient en bosse deux yeux gros et saillants



primitif. Le gouvernement chinois est obligé de dépenser annuellement des sommes énormes pour contenir le fleuve dans son lit, et prévenir les inondations. En 1779 les travaux qui furent exécutés pour l’endiguement coûtèrent 42,000,000, de francs. Malgré ces précautions, les inondations sont fréquentes. Car le lit actuel du fleuve Jaune, dans les provinces du Ho-Nan et du Kiang-Sou, sur plus de deux cents lieues de long, est plus élevé que la presque totalité de l’immense plaine qui forme sa vallée. Ce lit continuant toujours à s’exhausser par l’énorme quantité de vase que le fleuve charrie, on peut prévoir pour une époque peu reculée une catastrophe épouvantable, et qui portera la mort et le ravage dans les contrées qui avoisinent ce terrible fleuve.