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comprendre à ce bon vivant la différence qui existe entre les adorateurs du vrai Dieu et les sectateurs de Bouddha. Le désintéressement des ministres de la religion l'étonnait par-dessus tout. — Dans ce pays, disait-il, les choses ne vont pas comme cela. Les Lamas ne récitent jamais des prières gratis... Pour mon compte, si ce n'était l'argent, je ne mettrais pas le pied dans la Tartarie ... Aces mots, il se prit à rire avec épanouissement, tout en avalant de grandes rasades de thé. — Ainsi ne dis pas que nous sommes du même métier ; dis simplement que tu es mangeur de Tartares. — Ah ! je vous en réponds, s'écria-t-il avec l'accent d'un homme profondément convaincu ; nous autres marchands, nous sommes de véritables mangeurs de Tartares ; nous les rongeons, nous les dévorons à belles dents. — Nous serions curieux de savoir comment tu t'y prends pour faire de si bons repas en Tartarie ? — En vérité, est-ce que vous ne connaissez pas les Tartares ? N'avez-vous pas remarqué qu'ils sont tous comme des enfants ? Quand ils arrivent dans les endroits de commerce, ils ont envie de tout ce qu'ils voient. Ordinairement ils n'ont pas d'argent, mais nous venons à leur secours : on leur donne les marchandises à crédit, et à ce titre ils doivent, comme de juste, les payer plus cher. Quand on emporte des marchandises, sans laisser de l'argent, il faut bien qu'il y ait un petit intérêt de trente ou quarante pour cent. N'est-ce pas que cela est très-juste ? Petit à petit les intérêts s'accumulent, et puis on compte les intérêts des intérêts. Cela ne se fait qu'avec les Tartares ; en Chine les lois de l'Empereur s'y opposent. Mais nous, qui sommes obligés de courir sans cesse dans la