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et des acheteurs qui se querellent, ou qui causent comme au plus fort d'une émeute, se joignent incessamment les longs gémissements des chameaux, qu'on tiraille par le nez afin d'essayer leur adresse à se mettre à genoux et à se relever.

Pour juger de la force du chameau et du poids qu'il est capable de porter, on le charge par degrés ; tant qu'il peut se relever avec un fardeau quelconque, c'est une preuve qu'il pourra en supporter facilement le poids pendant la route. On use encore quelquefois de l'expérience suivante : pendant que le chameau est accroupi, un homme lui monte sur l'extrémité des talons, et se tient accroché de ses deux mains aux longs poils de la bosse postérieure ; si le chameau peut se relever, il est réputé de première force.

Le commerce des chameaux ne se fait jamais que par entremetteurs ; le vendeur et l'acheteur ne traitent jamais l'affaire ensemble et tête-à-tête. On choisit des gens étrangers à la vente, qui proposent, discutent et fixent le prix, l'un prenant les intérêts du vendeur, et l'autre ceux de l'acheteur. Ces parleurs de vente n'ont pas d'autre métier ; ils courent de marché en marché, pour pousser les affaires, comme ils disent. En général, ils se connaissent en bestiaux ; ils ont le verbe très-délié, et sont surtout doués d'une fourberie à toute épreuve ; ils discutent avec une éloquence, tour à tour violente et cauteleuse, les défauts et les qualités de l'animal ; mais aussitôt qu'il est question du prix, la langue cesse de fonctionner, et ils ne se parlent plus que par signes : ils se saisissent mutuellement la main, et c'est dans la longue et large manche de leur habit qu'ils expriment avec leurs doigts la hausse ou la baisse de leur commerce. Quand le marché est conclu, ils sont d'abord