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Parmi les Tartares, la queue est regardée comme la partie la plus exquise du mouton, et par conséquent la plus honorable. Les queues des moutons tartares sont d'une forme et d'une grosseur remarquables ; elles sont larges, ovales et épaisses ; le poids de la graisse qui les entoure, varie de six à huit livres, suivant la grosseur du mouton.

Après que le chef de famille nous eut donc fait hommage de cette grasse et succulente queue de mouton, voilà que tous les convives, armés de leur couteau, se mettent à dépecer, à l'envi, ces formidables quartiers de bouilli ; bien entendu que dans ce festin tartare on ne trouvait ni assiettes ni fourchettes ; chacun était obligé de placer sur ses genoux sa tranche de mouton et de la déchirer sans façon de ses deux mains, sauf à essuyer de temps en temps, sur le devant du gilet, la graisse qui ruisselait de toute part. Pour nous, bien grand fut d'abord notre embarras. En nous offrant cette blanche queue de mouton, on avait été animé, sans contredit, des meilleures intentions du monde ; mais nous n'étions pas encore assez sevrés de nos préjugés européens, pour oser attaquer, sans pain et sans sel, ces morceaux de graisse qui tremblaient et pantelaient en quelque sorte entre nos doigts. Nous délibérâmes donc entre nous deux, et dans notre langue maternelle, sur le parti que nous avions à prendre en cette fâcheuse circonstance. Remettre furtivement nos larges tranches de lard sur la table nous paraissait une grave imprudence ; parler franchement à notre amphitryon et lui faire part de notre répugnance pour leur mets favori, était chose impossible et contraire à l'étiquette tartare. Nous nous arrêtâmes donc au parti suivant. Nous coupâmes cette malencontreuse