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LABRADOR ET ANTICOSTI

fredonnant quelque couplet de chanson naïve ; les enfants couraient d’un groupe à l’autre, mêlant aux voix graves la note aiguë de leur babillage infatigable. Tout ce monde, assez insensible aux beautés de la nature splendide de ces lieux, était heureux sans le savoir. Car il en est souvent du bonheur, ici-bas, comme de la santé : c’est quand on n’en a plus, qu’on s’aperçoit qu’on en avait.

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Jusqu’à ces dernières années, chacun préparait le poisson qu’il prenait et le vendait, ainsi que l’huile de phoque, à son compte, soit à Québec ou Halifax, soit sur les lieux mêmes aux traders qui passaient. Mais, depuis quelques années, il y a à la Pointe-aux-Esquimaux un « bourgeois », c’est-à-dire un commerçant qui fait des avances de provisions, et prend en remboursement tout ce qu’on lui apporte : huile, morue et autre poisson, fourrures, vieux fer[1]. C’est M. L.-P. DeCourval, qui joue ici ce rôle utile à la population. Mais il n’y passe que l’été. Il est sans doute regrettable qu’il n’y ait pas à la Pointe, comme en d’autres endroits de la Côte, de ces établissements ouverts toute l’année, et qui, durant l’hiver, fournissent aux gens les provisions nécessaires, en comptant, pour se rembourser, sur les produits de la prochaine saison de pêche.

Quant à la morue que l’on pêche en automne, on ne la fait pas sécher. Mais on la sale et on la vend sur le marché de Québec.

J’ai interrogé quelques pêcheurs sur leur gain moyen de chaque année, et j’ose à peine rapporter leur réponse, tant je crains qu’elle ne paraisse incroyable. — Cette année, m’ont-ils dit, le loup marin a complètement manqué ; la morue donne peu encore. Les sauterelles mangent tout ce que nous avons semé

  1. Il y eut déjà, comme je l’ai dit précédemment, un « bourgeois », J. Hamond, qui s’établit à la Pointe, vers 1860, pour l’exploitation de la pêche, et qui faisait aussi des avances aux gens. On acheta plus tard la maison qu’il habitait, pour en faire le presbytère de la Mission.