Page:Homère - Odyssée, traduction Séguier, Didot, 1896.djvu/479

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Ou bien des ennemis vous ont-ils terrassés,
Quand vous donniez la chasse à leurs rustiques bêtes,
Menaciez leurs remparts et leurs foyers chéris ?
Réponds, car je suis fier d’avoir été votre hôte.
Ne sais-tu qu’autrefois j’allai dans vos pourpris,
Flanqué de Ménélas, afin qu’avec sa flotte
Ulysse nous suivît vers les Troïques bords ?
Il nous fallut un mois pour franchir la mer vaste,
Et mille efforts pour vaincre Ulysse le retors. »

L’ombre d’Amphimédon réplique au grand dynaste :
« Atride, chef illustre, incomparable roi,
Je me souviens de tout, ô nourrisson céleste !
Et je veux te narrer, te rendre manifeste
Notre massacre abject, tel qu’il eut lieu, ma foi.
D’Ulysse, au loin perdu, nous recherchions la femme ;
Sans fuir ni consommer ce détestable hymen
La belle nous gardait un trépas inhumain.
De ce cœur entêté sache la ruse infâme.
Elle entreprit d’ourdir dans sa chambre aux tissus
Un voile fin, immense, et nous dit, calme et brève :
« Mes jeunes amoureux, puisque Ulysse n’est plus,
Avant de convoler, permettez que j’achève
(Puisse mon fil servir jusqu’au moindre écheveau !)
Ce drap que ma tendresse à Laërte destine,
Lorsque le Sort fatal l’aura mis au tombeau.
Contre moi gronderait toute voix féminine,
Si l’opulent héros gisait sans un linceul. »
Son discours séduisit notre âme ranimée.
Or, ce qu’elle tissait, au soleil, pour l’aïeul,
Ses mains le défaisaient, la lampe rallumée.
Ce jeu dura trois ans et nous berna toujours.