Page:Homère - Odyssée, traduction Séguier, Didot, 1896.djvu/431

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Antine, s’exaltant, en ces termes le tance :
« Étranger de malheur, ton crâne est affaibli.
Ne te suffit-il pas de t’asseoir à la table
Des Principaux, d’y vivre abondamment, d’ouïr
Nos phrases, nos discours, lorsque nul misérable
De si hauts entretiens n’est admis à jouir ?
Le vin doux t’abrutit, car son miel qui restaure
Est nuisible au cerveau, quand on en fait abus.
Le vin, sous les lambris du fier Pirithoüs,
Perdit Eurytion, le célèbre centaure.
Hôte du roi Lapithe, aviné, furibond,
Il perpétra chez lui des horreurs sans pareilles.
Courroucés, les héros le traînèrent d’un bond,
Du portique au dehors, le nez et les oreilles
Tranchés d’un fer cruel. Pour lui, l’esprit dément,
Au loin il emporta ses tristesses dépites.
Dés lors furent brouillés Centaures et Lapithes ;
Mais l’ivrogne d’abord reçut son châtiment.
C’est pourquoi je t’annonce un terrible déboire,
Si tu tends l’arc ; n’espère un aide accidentel
Parmi le peuple, non ! sur une coque noire,
Au despote Échétus, fléau de tout mortel,
Nous t’enverrons ; et, là, rien ne rompra ta chaîne.
Bois donc en paix, ne lutte avec de jeunes preux. »

Immédiatement la juste souveraine :
« Antinoüs, il n’est ni beau ni généreux
D’insulter les forains qu’héberge Télémaque.
Crois-tu, si l’étranger, à son bras se fiant,
D’Ulysse par hasard tend l’arc terrifiant,
Qu’il se pose en mari, m’emmène en sa baraque ?
Lui-même ne se livre à ce calcul profond.