Page:Homère - Odyssée, traduction Séguier, Didot, 1896.djvu/424

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Eumée, avec un pleur, les prend et les dispose ;
Le bouvier pleure aussi devant l’arc grandiose.
Mais vite Antinoüs crie en les houspillant :
« Ô niais campagnards, manants à courte vue,
Par vos pleurs insensés pourquoi remuez-vous
Le cœur de cette femme ? Elle est assez émue,
Depuis qu’elle perdit un adorable époux.
Restez assis, mangez en paix, ou que vos larmes
Aillent couler dehors. Mais laissez l’arc ici.
L’épreuve assurément va causer des alarmes,
Car nul ne le tendra d’un doigté réussi.
Il n’est pas un guerrier, dans toute l’affluence,
Qui vaille Ulysse. Enfant, je connus ce vainqueur ;
Malgré le cours des ans, j’en ai la souvenance. »

Il parle de ce ton, se flattant dans son cœur
De bander seul la corde et d’enfiler les haches.
Mais il doit le premier goûter le trait parti
De la main de ce roi, que d’injures bravaches
Chez lui-même il comblait, avec son dur parti.

À son tour Télémaque, en sa vigueur ardente :
« Oh ! certes Zeus Kronide étouffe ma raison.
Ma bonne mère dit, quoique étant fort prudente,
Qu’elle entend convoler et fuir cette maison ;
Et moi stupidement je ris et je jubile.
Or ça, disputez-vous, Prétendants ébahis,
Celle qui n’a d’égale en l’Achéen pays,
Dans Argos, dans Mycène, et dans la sainte Pyle,
Ni dans Ithaque, ni sur le noir continent.
Mais vous le savez tous ; pourquoi louer ma mère ?
Allons ! ne différez cette épreuve sévère.