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« Ô dive, quel humain, qui serait équitable,
Oserait se remplir de viande et de boisson
Avant de libérer, de revoir ses bons frères ?
Si tu veux que je boive et mange volontiers,
Délivre mes amis, rends-moi leurs faces chères. »

Je dis ; et Circé alors traverse ses quartiers,
Sa baguette à la main, ouvre l’huis de la soue,
En fait sortir les miens, vrais cochons de neuf ans.
Ils s’arrêtent : Circé tour à tour les secoue,
Et les frotte un par un d’autres enduits savants.
Soudain tombent les poils qu’avait fait croître en masse
Le malin philtre offert par l’auguste Circé :
Hommes les revoilà, mais de fleur plus vivace,
D’un visage plus beau, d’un port plus élancé.
Chacun me reconnaît, saisit ma main tendue.
Nous versons tous des pleurs de joie, et le pourpris
Résonne de bravos ; Circé même est émue.
Alors, venant à moi, la déesse a repris :
« Noble Laërtiade, ingénieux Ulysse,
Cours maintenant vers l’onde, à ton navire près.
Tirez d’abord la nef sur le terrain propice,
Dans des grottes cachez vos biens, tous vos agrès ;
Puis reviens, amenant tes compagnons fidèles. »

Sa parole convainc mes généreux esprits.
À la mer, au vaisseau j’arrive à tire-d’ailes,
Et trouve auprès du bord mes matelots chéris
Qui poussaient des sanglots, versaient d’amères larmes.
Comme en un parc rustique on voit les génissons
Vers les vaches rentrant des fertiles paissons
Ensemble s’élancer ; toute haie est sans armes