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l’enverrons bientôt sur la terre ferme, chez le roi Ékhétos, le plus féroce de tous les hommes.

Ils parlaient ainsi, et le divin Odysseus se réjouit de leur vœu. Et Antinoos plaça devant lui une large poitrine de chèvre pleine de sang et de graisse. Et Amphinomos prit dans une corbeille deux pains qu’il lui apporta, et, l’honorant d’une coupe d’or, il lui dit :

— Salut, Père Étranger. Que la richesse que tu possédais te soit rendue, car, maintenant, tu es accablé de beaucoup de maux.

Et le subtil Odysseus lui répondit :

— Amphinomos, tu me sembles plein de prudence, et tel que ton père, car j’ai appris par la renommée que Nisos était à Doulikhios un homme honnête et riche. On dit que tu es né de lui, et tu sembles un homme sage. Je te dis ceci ; écoute et comprends-moi. Rien n’est plus misérable que l’homme parmi tout ce qui respire ou rampe sur la terre, et qu’elle nourrit. Jamais, en effet, il ne croit que le malheur puisse l’accabler un jour, tant que les Dieux lui conservent la force et que ses genoux se meuvent ; mais quand les Dieux heureux lui ont envoyé les maux, il ne veut pas les subir d’un cœur patient. Tel est l’esprit des hommes terrestres, semblable aux jours changeants qu’amène le Père des hommes et des Dieux. Moi aussi, autrefois, j’étais heureux parmi les guerriers, et j’ai commis beaucoup d’actions injustes, dans ma force et dans ma violence, me fiant à l’aide de mon père et de mes frères. C’est pourquoi qu’aucun homme ne soit inique, mais qu’il accepte en silence les dons des Dieux. Je vois les Prétendants, pleins de pensées iniques, consumant les richesses et outrageant la femme d’un homme qui, je le dis, ne sera pas longtemps éloigné de ses amis et de la terre de la patrie. Qu’un Daimôn te ramène dans ta demeure, de peur qu’il te rencontre quand il reviendra dans la chère terre de la