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habit des dimanches ? Savez-vous par cœur le nouvel air que le papa niais la Berlue vous a appris ? Vous avez l’air bien drôle avec votre perruque de verre et vos bottes à revers en papier fin !

Ainsi on appelait, on jasait, on ricanait de tous les coins ; et tout près de l’étudiant, qui les aperçut seulement alors, différents oiseaux l’entouraient en voltigeant et riaient à gorge déployée. Au même instant le buisson de lis de feu s’avança vers lui, et il vit que c’était l’archiviste Lindhorst, dont la robe de chambre bigarrée de brillantes fleurs jaunes et rouges avait abusé ainsi ses yeux.

— Pardonnez-moi, mon cher monsieur Anselme, de vous avoir ainsi abandonné, dit l’archiviste, mais en passant je me suis mis à regarder mon beau cactus, qui a ouvert cette nuit ses boutons. Et mon jardin vous plait-il ?

— Ah ! Dieu, il est d’une beauté merveilleuse, répondit Anselme, mais vos oiseaux de toute espèce se moquent un peu de mon pauvre mérite.

— Que signifient tous ces bavardages ? s’écria l’archiviste colère en se retournant du côté des bosquets. Alors un gros perroquet gris en sortit en volant, et venant se poser près de l’archiviste sur une branche de myrte, et le regardant avec une immense gravité à travers des lunettes posées sur son bec recourbé, il dit :

— Ne vous fâchez pas, monsieur l’archiviste, mes espiègles de garçons se sont encore laissé entraîner, mais monsieur le Studiosus en est la cause, car…

— Taisez-vous, taisez-vous, interrompit l’archiviste, je connais ces drôles, mais vous devriez les tenir un peu plus sévèrement, mon ami. Allons plus loin, monsieur Anselme !

L’archiviste traversa encore plusieurs appartements agréablement décorés d’une manière bizarre. L’étudiant avait peine à le suivre et à jeter en même temps un coup d’œil sur le mobilier éclatant et de formes singulières et sur une foule de choses inconnues qui étaient là en surabondance. Des murs couleur d’azur s’élançaient les troncs de bronze doré de hauts palmiers qui recourbaient en forme de toit leurs feuilles brillantes comme d’étincelantes émeraudes. Au milieu de l’appartement reposait sur trois lions égyptiens coulés d’un bronze foncé une table de porphyre sur laquelle était un simple pot d’or dont Anselme, lorsqu’il l’eut aperçu, ne pouvait plus détourner les yeux. On eût dit que plusieurs figures jouaient dans les mille reflets de l’or éblouissamment poli. Quelquefois il s’y voyait lui-même les bras étendus dans l’attitude du désir, hélas ! vers le sureau où Serpentine faisait ondoyer ses anneaux et le regardait la tête tour à tour haute ou baissée.

Anselme se sentit transporté d’un fou ravissement.

— Serpentine ! s’écria-t-il à voix haute.

L’archiviste Lindhorst se tourna vers lui et dit :

— Qu’avez-vous, monsieur Anselme ? Il me semble que vous appelez ma fille, et elle est dans sa chambre, à l’autre bout de la maison, à prendre des leçons de piano. Allons plus loin.

Anselme suivit la tête presque vide de pensées l’archiviste, qui marchait devant lui, et il n’entendait et ne voyait plus rien, jusqu’au moment où son guide le saisit par la main en disant :

— Nous sommes arrivés.

Anselme s’éveilla comme d’un songe et remarqua seulement qu’il se trouvait dans une haute chambre tout entourée de livres rangés, qui avait tout à fait l’apparence ordinaire des bibliothèques ou des cabinets de travail. Au milieu se trouvait une grande table et devant elle un grand fauteuil rembourré.

— Cette chambre, dit l’archiviste, est dès à présent le lieu de vos copies ; je ne sais pas encore si vous travaillerez plus tard dans la bibliothèque où vous avez prononcé le nom de ma fille, mais maintenant je désirerais me persuader de votre compétence à faire selon mes désirs et mes besoins ce que j’ai à vous confier.

L’étudiant Anselme reprit tout à fait courage et tira, non sans quelque satisfaction intérieure et dans la conviction qu’il allait réjouir l’archiviste par son talent inusité, ses dessins et ses écritures de sa poche. À peine l’archiviste eut-il vu la première feuille du manuscrit expédié avec la plus élégante anglaise possible, qu’il rit d’une manière étrange et secoua la tête ; il en fit autant à la seconde page, et ainsi de suite à toutes les autres. Le sang montait à la tête d’Anselme ; et lorsque le sourire devint à la fin moqueur et méprisant, il dit plein de mauvaise humeur :

— Monsieur l’archiviste, vous ne paraissez que médiocrement satisfait de mon mince talent ?

— Mon cher monsieur Anselme, reprit l’archiviste, vous avez de grandes et véritables dispositions, mais je vois dès à présent que je peux compter bien plus sur votre assiduité et votre bon vouloir que sur votre adresse. Cela du reste dépend peut-être du mauvais matériel que vous employez.

L’étudiant parla beaucoup de son habileté, de son encre de Chine et de ses plumes de corbeau de choix. Alors l’archiviste lui présenta la feuille d’écriture anglaise en disant :

— Jugez vous-même.

Anselme fut comme frappé de la foudre, tant son écriture lui parut misérable ; il n’y avait pas de plein dans les traits, qui n’étaient pas droits ; les grosses lettres ne se distinguaient pas des petites ; des