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831 ALEXANDRE (Princes anciens, MACÉDOINE) 832
jours, qu’ils passèrent dans les festins et la débauche, à l’imitation de Bacchus (1)[1].

De retour en Perse Alexandre se rendit à Pasargade ; il y reçut des dénonciations contre plusieurs gouverneurs ou satrapes, entre autres contre Orxines. Ce Perse, d’une naissance illustre, en faisant des présents au vainqueur de l’Asie et à tous les grands de sa cour, omit l’eunuque Bagoas : celui-ci, pour s’en venger, l’accusa d’avoir pillé le tombeau de Cyrus, dans lequel il assurait qu’on avait enfoui trois mille talents. Ce monument funèbre fut ouvert par ordre d’Alexandre ; et on y trouva deux arcs scythes, un bouclier pourri, et un cimeterre. L’eunuque persuada à son maître qu’Orxines en avait enlevé toutes les richesses, et ce malheureux Perse subit la peine de mort.

De Pasargade, Alexandre vint à Suse, où il célébra ses noces avec Barsine, fille de Darius, et celle de dix mille Macédoniens avec des filles perses. Sur ces entrefaites, Néarque arriva, après avoir conduit sa flotte depuis l’Indus jusque dans le golfe Persique. Alexandre lui décerna une couronne, ainsi qu’à Onésicrite, pilote du vaisseau royal. Il fit ensuite rassembler de toutes les parties de son empire trente mille jeunes gens, qu’il ne craignit point de nommer épigones, c’est-à-dire successeurs. Ils furent habillés, armés et exercés dans le costume et la tactique des Macédoniens, dont le mécontentement ne tarda point à éclater.

Arrivé à Opis sur le Tigre, Alexandre résolut de payer les dettes de son armée, et en acquitta, dans un seul jour, pour près de dix mille talents ou soixante millions. Après ce grand acte de générosité, il déclara que son intention était de renvoyer les soldats invalides, et de ne garder auprès de lui que les gens de bonne volonté. Cette déclaration réveilla les anciens sujets de plainte contre lui ; son changement de mœurs, le choix qu’il faisait des Perses pour occuper des places importantes, la création du corps des épigones, etc., toutes ces considérations se présentèrent à l’esprit des Macédoniens ; ils murmurèrent, se permirent des propos offensants, et finirent par se soulever. La révolte se calma devant la douleur du roi. Alexandre pleurait alors la perte d’Héphestion, son plus tendre et son meilleur ami. Tous les historiens s’accordent sur son extrême douleur ; mais ils en parlent différemment, suivant leur affection ou leur inimitié pour ce prince et pour Héphestion. Ce fut à Babylone que l’on transporta le corps d’Héphestion : on lui éleva un bûcher dont rien n’a jamais égalé la magnificence. Plutarque prétend qu’Alexandre chercha dans la guerre une consolation à la douleur que lui causait la mort de cet ami, et qu’en conséquence il partit d’Ecbatane pour faire « la chasse aux hommes. » Ayant vaincu les Cosséens,

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il les massacra tous impitoyablement, et appela cette expédition énagisme, c’est-à-dire libation funéraire en l’honneur d’Héphestion. On ne pouvait rien imaginer de plus injurieux à la mémoire d’Alexandre : mais ce fait est démenti par les autres écrivains. Au rapport de Diodore, les Cosséens furent subjugués dans quarante jours ; Alexandre leur tua beaucoup de monde, et leur fit encore plus de prisonniers. Après qu’ils eurent promis de lui obéir, il leur accorda la paix.

Alexandre s’avança ensuite vers Babylone, et à son approche les députés de toutes les nations vinrent le féliciter de ses succès. Les Éthiopiens, les Libyens, les Carthaginois, les Bruttiens, les Lucaniens, les Toscans, les Scythes, les Celtes, les Ibériens, etc., peuples qui pour la plupart connaissaient à peine le nom macédonien, s’empressèrent de rendre hommage au vainqueur de l’Asie. On rapporte que plusieurs soumirent leurs différends à la décision de ce prince, comme maître de la terre et des mers qui la baignent (1)[2]. Alexandre, de retour à Babylone, n’y resta pas oisif ; à peine le soin de son vaste empire était-il pour lui une occupation. Une foule de projets se présenta alors à son esprit, et il voulut tous les exécuter. Les moyens ne l’embarrassaient pas : il n’avait besoin que de vivre ; mais, heureusement peut-être pour le genre humain, il touchait à la fin de sa brillante carrière. On ne peut douter de ses projets, puisqu’ils se trouvaient consignés dans ses propres mémoires. Éphippus d’Olynthe devait en avoir eu connaissance, et c’est vraisemblablement dans son ouvrage que Diodore de Sicile les a puisés. Perdiccas fit lecture aux Macédoniens assemblés des principaux passages des mémoires d’Alexandre (1)[3], après en avoir retranché ce qui concernait Héphestion. D’abord il s’agissait de faire construire en Phénicie, dans la Syrie, en Cilicie et dans l’île de Cypre, mille navires longs, plus forts que les trirèmes, destinés à porter la guerre chez les Carthaginois et les autres peuples voisins de la Libye et de l’Ibérie. A l’usage de cette flotte, des ports devaient être creusés et des arsenaux construits dans les endroits les plus opportuns, sur la route, jusqu’aux Colonnes d’Hercule. Il était ensuite question de colonies fondées en Asie, des moyens d’assurer et de multiplier leurs relations, soit entre elles, soit avec l’Europe. Alexandre faisait encore mention de six temples, à la construction de chacun desquels il destinait la somme de quinze cents talents, ou neuf millions. Il plaçait les deux premiers à Delphes et à Dodone ; le troisième, de Jupiter, à Dium ; le quatrième, de Diane-Tauropole, à Amphipolis ; et le cinquième, à Cirrha ; le dernier et le plus magnifique de tous était celui de Minerve à Ilium, dans la Troade. Enfin il voulait qu’on élevât une pyramide aussi haute que les pyramides d’Egypte,

  1. (1) Diodore, XVII, 106. Quinte-Curce, IX, 10, 12.
  2. (1) Arrien, VII, 18.
  3. (2) Diodore de Sicile, XVII, 4.