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827 ALEXANDRE (Princes anciens, MACÉDOINE) 828
bitées par neuf nations différentes. Les Macédoniens, jaloux d’un pareil traitement, disaient qu’Alexandre avait été obligé d’attendre qu’il eût passé l’Indus pour trouver quelqu’un digne de ses libéralités. Mais elles étaient très-bien placées, et l’alliance de Taxile lui devint fort utile. Le conquérant, guidé par ce prince, se mit en marche vers l’Hydaspe, dont Porus gardait, avec toutes ses troupes, le passage. Aussitôt Alexandre fit ses dispositions pour l’attaquer, et divisa son armée en plusieurs corps qui firent diverses manœuvres, afin de tromper l’ennemi sur l’endroit où ils devaient passer cette rivière. Les premières tentatives ne réussirent pas ; une nuit orageuse et une grosse pluie secondèrent mieux les desseins du conquérant ; il profita encore avec beaucoup d’habileté des avantages du terrain, les bords de l’Hydaspe étant très-hauts et très-escarpés, et le lit de cette rivière parsemé d’îles ; une forêt couvrait le rivage opposé, où les troupes macédoniennes parvinrent successivement. Alexandre passa le premier sur un bâtiment de trente rames, et fut suivi de six mille hommes qu’il rangea aussitôt en bataille. Arrien nous fournit des détails aussi exacts qu’intéressants sur les dispositions et les manœuvres des deux armées. Il rapporte, d’après Aristobule, que le fils de Porus ayant paru d’abord s’opposer au passage de l’armée ennemie, s’était ensuite retiré avec les soixante chars qui l’accompagnaient. Arrien donne ensuite le récit de Ptolémée, qui se signala dans cette fameuse journée. Suivant ce général, le fils de Porus fut détaché avec cent vingt chars et deux mille chevaux ; mais il arriva trop tard, Alexandre venait de passer le dernier gué. Il se mit aussitôt à la poursuite des Indiens ; leur chef demeura sur la place, et une partie de ses troupes et de ses chars furent pris. Lorsque Porus eut appris la défaite de son fils, il résolut d’aller à la rencontre d’Alexandre, et fit les plus sages dispositions : il plaça sa cavalerie à l’aile droite, partie de front, partie en ligne courbe ; il mit à la gauche ses éléphants, et leur donna aussi la forme de la ligne courbe. Le combat ayant commencé, les Indiens ne soutinrent que faiblement la charge de la cavalerie thessalienne. Ils se retirèrent en désordre vers le flanc de leur infanterie, où ils se rallièrent ; alors la phalange, soutenue des Argyraspides, s’avança. Porus envoya contre elle ses éléphants : ils eurent d’abord quelques succès ; mais la cavalerie de ce prince ayant été rompue une seconde fois, et les éléphants, percés de traits par les Macédoniens, s’étant emportés, le désordre se mit bientôt dans son armée, qui fut battue complètement. Porus perdit dans cette bataille deux de ses fils, près de vingt mille hommes de pied, trois mille hommes de cavalerie, ses chars et tous ses éléphants. Si nous nous en rapportons aux autorités d’Arrien, toute la perte des Macédoniens se réduit à deux cent trente chevaux, et quatre-vingts fantassins.
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Plutarque cite une lettre d’Alexandre, dans laquelle ce prince entrait dans beaucoup de détails sur son passage de l’Hydaspe. Ce fleuve était, selon lui, si enflé et si rapide, qu’il se fit une grande brèche à la rive gauche ; les eaux se précipitèrent par là avec tant d’impétuosité, qu’elles entraînèrent Alexandre, qui ne put s’y soutenir parce que la terre se dérobait sous ses pieds. Ce fut dans ce moment qu’il s’écria : « O Athéniens, vous n’imaginez jamais tous les dangers auxquels je m’expose pour avoir de la célébrité parmi vous (1)[1] ! » C’est le secret de l’âme qui échappe au moment suprême.

Après le passage de l’Hydaspe, Alexandre pénétra dans l’intérieur de l’Inde, et soumit trente-sept villes, dont les moindres avaient sept mille habitants, et les autres dix mille. Partout il y avait une grande population. Arrivé sur les bords de l’Acésines, il eut beaucoup de peine à passer ce fleuve. Il traversa avec moins de difficultés l’Hydraote. Ayant appris que les Cathéens conspiraient avec les Oxydraques et les Malliens, il marcha contre les premiers, qui étaient en armes sous les murs de Sangala. Alexandre les défit et prit leur ville, où dix-sept mille Indiens furent tués et soixante-dix mille faits prisonniers. Ce prince, ivre de ses succès, ne mit plus de borne aux projets de son ambition ; mais il fut arrêté par les murmures de ses soldats lorsqu’il se disposait à passer l’Hyphase, dans l’espoir d’aller jusqu’au Gange. Plutarque indique très-bien les causes du découragement des Macédoniens. La valeur de Porus et de son armée leur faisait craindre, de la part des autres Indiens, une résistance à laquelle ils ne s’étaient pas d’abord attendus. La puissance des Gangarides et des Prasiens qui habitaient la contrée qu’arrosait le Gange leur annonçait de nouveaux combats, dans lesquels toute leur bravoure pouvait succomber sous les efforts d’une multitude d’ennemis. Quelque grandes que fussent en effet les difficultés, elles s’augmentaient encore à leurs yeux, et tous désiraient ardemment retourner dans leur patrie. Alexandre voulut en vain relever leur courage et leurs espérances par un discours qu’Arrien lui prête ; il ne put y réussir. Ce fut donc sur la rive occidentale de l’Hyphase que s’arrêta le conquérant macédonien. On répandit néanmoins le bruit qu’il avait pénétré plus loin. On citait même une lettre de Cratère à Aristopàtre sa mère, où il lui mandait que ce prince était parvenu jusqu’au Gange (2)[2]. Cratère, le plus habile des généraux d’Alexandre depuis la mort de Parménion, n’avait ni raison ni intérêt d’accréditer une pareille imposture. Ce n’était pas la seule que cette lettre renfermât, et tout prouve qu’elle a été supposée par ceux qui ont voulu étendre les conquêtes d’Alexandre au delà de

  1. (1) Plutarque, Vie d’Alexandre.
  2. (2) Ibid.