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porte en même temps l’opinion de Ptolémée. Celui-ci assurait que ces mêmes habitants de Cyra furent faits prisonniers, et bannis ensuite de toute la contrée. Quel moyen peut-il y avoir de concilier deux écrivains témoins oculaires du même événement ? Ce moyen ne pourrait se trouver que dans leurs propres récits. Malheureusement, nous n’avons que ceux d’Aristobule et de Ptolémée. Arrien fait bien sentir la différence de leurs opinions ; mais il ne les discute point. Cet historien passe sous silence le sac de la ville des Branchides, dont les ancêtres avaient livré le temple d’Apollon-Didyméen à Xerxès, qui les établit dans cette contrée éloignée. Alexandre mit leur sort à la décision des Milésiens qui étaient dans son armée ; mais étant partagés d’opinion, il investit cette ville, la fit détruire jusqu’aux fondements, et arracher même les bois sacrés. Les malheureux habitants sans défense furent massacrés tous sans exception.

Les victoires d’Alexandre l’avaient rendu célèbre dans tout l’Orient. Thalestris, reine des Amazones, désireuse de voir ce prince et d’en avoir un enfant, vint elle-même le trouver, accompagnée de trois cents de ses sujettes. Quinte-Curce et Justin fixent l’époque de son arrivée après la réduction de l’Hyrcanie (1)[1] ; le premier emprunte son récit à Clitarque, qu’il traduit ou embellit à sa manière. Diodore fixe cette époque au retour d’un second voyage que fit Alexandre dans cette contrée ; Plutarque après le passage du Jaxarte, et Arrien, en font mention parmi les événements qui suivirent l’expédition des Indes. Les trois premiers historiens regardent le voyage de Thalestris comme certain, et prêtent les mêmes motifs à cette reine. Alexandre, dans une lettre qu’il écrivit à Antipater, parlait seul de la proposition que lui avait faite le roi des Scythes de lai donner sa fille en mariage ; mais il ne disait rien des Amazones ni de leur reine. Plutarque ajoute qu’Onésicrite, récitant lui jour devant le roi Lysimaque le quatrième livre de son histoire où il faisait mention de l’aventure de Thalestris, ce prince, en éclatant de rire, s’écria : « Où étais-je donc alors ? »

Quinte-Curce est le seul historien d’Alexandre qui s’attache à nous dévoiler les qualités et les défauts de son héros ; il remarque avec soin les progrès que fit en lui la corruption. Après la bataille d’Arbèle, ce prince commença à donner la préférence aux mœurs étrangères. N’ayant pu être vaincu par les armes des Perses, il fut subjugué par leurs vices ; de longs et interminables festins, des nuits passées dans l’ivresse et au jeu, une suite de trois ou quatre cents courtisanes accompagnées d’eunuques, tout annonça bientôt un changement qui finit par aliéner de lui les esprits, et fit naître de fréquentes conspirations. Après la mort de Darius, rien ne s’opposait plus aux passions d’Alexandre : il leur lâcha

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publiquement la bride ; la continence et la modération firent alors place à la dissolution et à l’orgueil. Il prit l’habillement des Perses, et un diadème de pourpre mêlée de blanc, tel que l’avait porté Darius. Mais ce qui révolta surtout les Grecs, ce fut de souffrir que l’on se prosternât devant lui de la manière la plus humiliante.

Parménion et Philotas n’avaient péri que pour avoir trop manifesté leur opinion sur le changement de mœurs de leur roi ; et Alexandre ne pardonna jamais à ce dernier la lettre où il osait lui dire qu’il le félicitait d’avoir été mis au rang des dieux par l’oracle d’Ammon ; mais qu’il plaignait les hommes obligés de passer leur vie sous un prince qui se croyait au-dessus de l’espèce humaine (1)[2]. Voilà peut-être tout le crime de Philotas. Celui de Clitus fut encore d’avoir blessé l’orgueil d’Alexandre. Arrien rapporte que Clitus, rappelant le combat du Granique, dit au prince qu’il lui devait la vie ; montrant ensuite sa main, il s’écria : « Cette main, Alexandre, te sauva le jour dans le combat. « Malgré la colère que ces mots firent éclater, l’imprudent Clitus lui reprocha encore le meurtre d’Attalus. Selon Quinte-Curce, ce fut en cet instant qu’Alexandre, arrachant une lance ou sarisse des mains d’un de ses gardes, s’élança pour en percer Clitus ; mais Perdiccas et Ptolémée l’en empêchèrent. Au rapport de Plutarque, Clitus fut forcé par ses amis à sortir de la salle ; mais incontinent il y rentra par une autre porte, en récitant les vers de l’Andromaque d’Euripide, où ce poète se plaint de ce que toute la gloire d’une action rejaillit non sur les soldats, mais sur le général. Alexandre se saisit de nouveau d’une lance, et en frappa le malheureux Clitus à l’instant qu’il soulevait une portière pour s’évader. Justin nous représente Alexandre touché du meurtre d’un ami vieux et innocent, au point d’embrasser son corps, d’essuyer ses plaies ; arrachant le trait qui l’avait tué pour s’en frapper lui-même. Mais ce fut dans le premier instant et non le lendemain qu’il manifesta cette douleur, après s’être renfermé dans sa tente, comme le suppose Quinte-Curce.

Depuis la mort de Clitus, le crédit de Callisthène diminua, et celui d’Anaxarque s’accrut ; les disputes devinrent fréquentes entre ces deux hommes. Un jour, en présence d’Alexandre, il fut question de la température de l’air ; Callisthène prétendit que le climat de la contrée où il se trouvait alors était plus froid que celui de la Grèce. Anaxarque soutint le contraire avec opiniâtreté. « Convenez pourtant, lui repartit son antagoniste, que dans la Grèce un mauvais manteau suffisait pour vous couvrir la nuit, et qu’aujourd’hui il vous faut trois gros tapis. » C’était à la fois lui reprocher son ancienne pauvreté, et le luxe auquel il se livrait en ce temps-là. Le trait piqua au vif Anaxarque, qui se ligua

  1. (1) Justin, XII, 3.
  2. (1) Quinte-Curce, VI, 10 et 11.