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SULLY PRUDHOMME

les membres de Jésus-Christ ; aussi, avait-il accepté sans difficulté le Dieu féroce du jansénisme qui faisait reculer un cœur délicat, plein d’indulgence et de pitié pour tout ce qui souffre.

Sully ne séparait pas ses aspirations esthétiques de ses aspirations morales ; le sentiment du beau, dans l’art aussi bien que dans la nature, lui semblait la véritable révélation du divin ; aucune de ses manifestations ne lui était indifférente ; les plus fines, les plus délicates, les plus menues lui semblaient les plus précieuses. C’était au contraire à l’infini qui l’écrasait, que Pascal réservait son admiration exclusive, sorte de sublime effroi qui, loin de l’attirer doucement vers le ciel, le rejetait brutalement dans un néant d’où une grâce surnaturelle pouvait seule le retirer. Que de ressemblances et que de contrastes !

Après de longues luttes, Pascal avait trouvé une paix que Sully Prudhomme n’a jamais connue. Quand le poète nous a raconté cette nuit de 1654 où Pascal a directement senti l’existence du Dieu d’Abraham, d’lsaac et de Jacob, il devait penser à cette autre