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SAVANTS ET ÉCRIVAINS

heur. Voilà ce que les hommes demandent sans cesse ; voilà ce qu’ils ne peuvent espérer ; les progrès de la civilisation peuvent-ils le leur donner ? On fait croire à l’homme qu’il travaille pour être heureux, et cette illusion est nécessaire, mais c’est une illusion. L’homme ne travaille pas pour être heureux, mais pour être fort, et le plus souvent aux dépens de son bonheur. Autrefois il a quitté la douce vie pastorale pour le dur travail de la terre ; croit-on qu’il renonça sans regret aux longues rêveries dans les vastes espaces ? Mais il l’a bien fallu, puisque les riches cultures nourrissent les gros bataillons. Il a bien fallu plus tard abandonner l’air libre des champs pour l’atmosphère embrasée des usines, puisque l’acier qui donne la puissance exige des fournaises. Si par hasard un peuple préférait le bonheur à la force, ses voisins plus avisés ne tarderaient pas à le lui ravir avec la liberté.

L’homme, si misérable sur terre, peut-il espérer le bonheur dans quelque astre lointain ? Pour cela il devrait changer d’âme ; il lui faudrait une âme d’ange ou une âme de