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SAVANTS ET ÉCRIVAINS

c’est seulement quand nous commençons à savoir le morceau par cœur que notre plaisir est sans mélange.

La poésie philosophique a d’anciens titres de noblesse ; nous n’avons pas besoin de remonter jusqu’aux temps un peu brumeux de Parménide ; Lucrèce est plus près de nous, mais qu’il est déjà loin cependant ! Dans ce temps la philosophie était jeune et confiante en elle-même, et, comme les enfants, la moindre lueur suffisait à l’enchanter. Lucrèce a vu que le monde n’obéit pas au caprice des dieux, mais qu’il est gouverné par des lois immuables, par je ne sais quelle harmonie grandiose et aveugle ; la nouveauté de ce spectacle l’émerveille et transfigure à ses yeux la nature ; délivré de mille craintes chimériques, il se sent respirer librement.

Chose étrange, pour les hommes éclairés de ce temps, Épicure était un bienfaiteur de l’humanité ; et plus tard, quand le Christ nous a rendu l’immortalité, cela s’est appelé la bonne nouvelle ; et plus tard encore, les philosophes du XVIIIe siècle ont été salués comme des libérateurs.