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SULLY PRUDHOMME

bles et nettement circonscrits. La poésie a comme la musique le privilège d’éveiller des rêves sans fin. Chaque note isolée laisserait notre âme indifférente ; réunies dans une mélodie, elles deviennent sur nous toutes-puissantes, comme si le rythme et le mouvement de la phrase musicale leur avait donné la vie.

Les mots assemblés dans un vers jouissent de la même mystérieuse vertu. Chacun d’eux n’a plus seulement sa signification propre, il devient capable de suggérer une foule d’images qui se succèdent à l’infini, pareilles à ces ondes que le choc d’une pierre détermine à la surface de l’eau. Toutes ces ondes se mêlent et se pénètrent, comme le font les éléments de la réalité vivante, et c’est ainsi que la poésie philosophique peut nous donner de cette réalité un portrait moins imparfait.

Cette poésie a cependant un défaut qui vient de sa profondeur même. Chaque mot exigerait une longue réflexion ; l’esprit voudrait se laisser entraîner et suivre le poète dans son vol, il souffre d’être à chaque instant arrêté et de retomber à terre. Le sentiment pénible s’atténue à la seconde lecture, mais