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SAVANTS ET ÉCRIVAINS

ture de Strauss eut raison de ce qu’il avait encore de foi. Il lui restait cependant la nostalgie des contrées qu’il avait entrevues et que la plupart d’entre nous, incrédules ou croyants tranquilles, ne connaissent que par le livre de William James, comme nous connaissons le centre de l’Afrique par les récits des voyageurs. Que de fois, il regretta la vision évanouie !


Je vous attends, Seigneur ; Seigneur, êtes-vous là ?
J’ai beau joindre les mains, et, le front sur la Bible,
Redire le Credo que ma bouche épela,
Je ne sens rien du tout devant moi, c’est horrible.


Il n’a pas seulement peint les nuances les plus fines du sentiment, il nous a fait sentir le parfum mélancolique des choses qui font rêver parce qu’elles ont vécu et vieilli. Les choses ont une âme complaisante puisqu’elles ont seulement celle que nous leur prêtons ; celles des hommes, les vraies, nous restent inconnues. Bien souvent notre poète a déploré cette impénétrabilité des âmes qui, se cherchant sans cesse et aspirant à se rejoindre, se heurtent à une inexorable barrière.