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SULLY PRUDHOMME

Sans doute, il y a des savants qui conservent la foi, mais ils ne sont que savants ; ces espaces grandioses et lumineux qu’ils admirent, ils ne s’indignent pas qu’ils restent indifférents. Le poète avait besoin de sympathie et il s’inquiétait de cette immensité impassible que la science lui montrait. C’est le sentiment qui est si éloquemment exprimé dans le sonnet de la Grande Ourse.

Quand il renonça à ses études scientifiques, il vint à Lyon dans un milieu mystique qui agit sur lui à son insu. Une nuit, il se réveilla tout transformé ; il sentait son âme inondée de lumière, comme une chambre obscure où on a laissé pénétrer soudain le soleil. Les arguments qui avaient assailli sa foi chancelante lui semblaient désormais impuissants ; il n’aurait su dire quel était leur point faible, mais puisqu’il voyait, il ne s’en inquiétait pas plus que le marcheur ne s’inquiète des arguments de Zénon contre la possibilité du mouvement.

Cette crise dura plusieurs mois et il songea un instant à se faire dominicain ; mais, de retour à Paris, le mirage disparut et la lec-