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SULLY PRUDHOMME

Chez Sully, la réflexion lui impose un frein ; il observe plus qu’il n’invente ; il a besoin de voir la réalité telle qu’elle est et il souffrirait de la déformer. Par là aussi il devait plaire à un siècle sur lequel l’esprit de la science positive avait soufflé.

Il différait aussi du poète romantique par sa nature morale ; celui-ci se sentait victime d’une injustice du sort et c’est là ce qui lui arrachait des plaintes éloquentes. Sully tremblait d’être favorisé par quelque privilège immérité et sa conscience en était tourmentée sans trêve.

Et s’il résistait à son imagination, ce n’était pas seulement par une sorte de scrupule scientifique, c’était parce que le monde de la fiction lui semblait trop éloigné de celui où l’homme peut agir utilement et se dévouer. Qu’on se rappelle les vers où il parle de Musset avec tant d’admiration, mais où il lui reproche de se désintéresser de l’action et de ne pas être


Amant-de l’idéal comme on l’est d’un drapeau.


Il nous a dit ce qu’il devait aux Parnas-