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SAVANTS ET ÉCRIVAINS

eût tout pesé, comme un juge ; il ne se dépensait pas en protestations, et son premier abord pouvait sembler froid.

Qu’était-ce que cette sympathie inquiète qui l’unissait aux hommes et aux choses, et dont il a si bien parlé ?


J’ai voulu tout aimer, et je suis malheureux,
Car j’ai de mes tourments multiplié les causes ;
D’innombrables liens frêles et douloureux
Dans l’univers entier vont de mon âme aux choses.


Ce n’était pas seulement la souffrance presque physique qu’éveille en nous le spectacle de la douleur, c’était, avant tout, la révolte contre l’injustice qui choque ce qu’il y a de plus intellectuel dans notre sensibilité.

Cette lutte intérieure n’était pas sans angoisse ; il nous a peint, dans des vers admirables, ce dialogue tragique entre le cœur qui dit : « Je crois et j’espère », et l’intelligence qui répond : « Prouve ». Et ce combat a commencé dès l’éveil même de sa raison, puisque c’est à quinze ans qu’il écrivait ceci :

« Il est bien malheureux, l’homme qui est né poète et philosophe tout ensemble ; il con-