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SULLY PRUDHOMME

comme plus tard, ses devoirs d’académicien. Que d’angoisses représentait chaque jugement à rendre, soit dans vos concours, soit au Conseil de l’Ordre de la Légion d’Honneur. Il gaspillait un temps, dont il était d’ailleurs si avare, à répondre à des lettres oiseuses, ou à lire tous les manuscrits qu’on lui envoyait. Il se serait fait un scrupule d’éconduire ces importuns qui demandent un conseil, et attendent un éloge. Quel combat alors entre la crainte de blesser et celle de mentir ! Il s’en tirait habilement, avec l’illusion d’avoir tout concilié par l’aménité de la forme.

À cette aménité, il tenait beaucoup ; il se défendait d’être caustique, et cependant il avait un esprit naturel et gai, qui me fait penser à celui de certains saints du christianisme, et qui rendait pour ses amis son commerce plus exquis encore.

Ce conflit entre ses deux natures nous explique bien des traits. Il était le plus généreux des hommes, mais, dans ses générosités mêmes, il ne s’abandonnait pas à son élan naturel, il le dissimulait jusqu’à ce qu’il