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en cherchant à mettre en évidence les plus caractéristiques. Ce qui frappe d’abord tout le monde, c’est que le même homme, qui a rendu tant de services aux praticiens, s’est complu dans les considérations les plus abstraites, et s’est constamment efforcé d’arracher à la nature les secrets qu’elle garde le plus jalousement et qui importent le moins aux ingénieurs. Cette alliance de la théorie et de la pratique est certainement le caractère distinctif du génie de lord Kelvin. Je le vois encore feuilletant devant moi ses carnets où des recherches sur la théorie cinétique des gaz se trouvaient mêlées à des calculs relatifs à un câble sous-marin, et si bien mêlées que lui seul pouvait s’y reconnaître. On voyait combien de fois en quelques jours son esprit avait passé d’une de ces deux préoccupations à l’autre.

Et qu’on ne dise pas que cela est une tendance naturelle aux Anglais. « Que vous êtes heureux en France, me disait-il lui-même un jour, vous ne souffrez pas comme nous de ce divorce constant entre la science et la pratique. » Il voyait peut-être ce qui se passe en