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du savant qui venait lui soumettre une question de science spéculative, on rencontrait l’industriel qui le consultait sur une difficulté pratique, sur un enroulement d’induit ou une distribution.

Le mal qui l’a tué fut long et cruel. Douze ans, il fut étendu sur un lit ou sur un fauteuil, privé de l’usage de ses membres et souvent torturé par la douleur. L’envahissement de la maladie était lent et continu, les crises, d’année en année, plus fréquentes. À la fin, son corps n’était plus rien, et, dans le lit d’où il ne pouvait plus sortir, on ne voyait plus que deux yeux. Son âme était plus forte que l’aveugle puissance d’un mal brutal, elle ne plia pas. Il se faisait porter à l’École Polytechnique ou à l’École des Mines. Tout ce qu’il avait aimé autrefois, il continua à s’y intéresser de plus en plus dans les moments de répit que lui laissait la souffrance. Et dans ce corps, de jour en jour plus chétif, l’intelligence restait toujours aussi lumineuse. Telle une forteresse dont les remparts s’en vont pièce à pièce sous les obus ennemis et que l’énergie d’un chef fait encore redoutable.