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depuis l’enfance jusqu’à l’âge adulte et par conséquent qu’il n’y a pas eu depuis vingt ans sur la Terre un cataclysme qui y ait détruit toute vie, mais cela ne me prouve en aucune façon qu’il n’y en aura pas un d’ici à vingt ans. Nous avons pour connaître le passé des armes qui nous manquent quand il s’agit de l’avenir, et c’est pour cela que l’avenir nous apparaît comme plus mystérieux que le passé.

Je ne puis m’empêcher ici de me reporter à un article que j’ai écrit sur le hasard ; j’y rappelais l’opinion de M. Lalande qui avait dit, au contraire que, si l’avenir est déterminé par le passé, le passé ne l’est pas par l’avenir. D’après lui une cause ne peut produire qu’un effet, tandis qu’un même effet peut être produit par plusieurs causes différentes. S’il en était ainsi, ce serait le passé qui serait mystérieux et l’avenir qui serait aisé à connaître.

Je ne pouvais adopter cette opinion, mais j’ai montré quelle avait pu en être l’origine. Le principe de Carnot nous montre que l’énergie, que rien ne peut détruire, est susceptible de se dissiper. Les températures tendent à s’égaliser, le monde tend vers l’uniformité, c’est-à-dire vers la mort. De grandes différences dans les causes ne produisent donc que de petites différences dans les effets. Dès que les différences dans les effets deviennent trop faibles pour être observables, nous n’avons plus aucun moyen de connaître les différences qui ont