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aucun phénomène qui ne puisse être objet de science, puisqu'il n'en est aucun qui ne puisse être observé. Les phénomènes moraux n'y échappent pas plus que les autres. Le naturaliste étudie les sociétés des fourmis et des abeilles et il les étudie avec sérénité ; de même le savant cherche à juger les hommes comme s'il n'était pas un homme ; à se mettre à la place de je ne sais quel lointain habitant de Sirius pour qui les villes ne seraient que des fourmilières. C'est son droit, c'est son métier de savant.

La science des mœurs sera d'abord purement descriptive ; elle nous fera connaître les mœurs des hommes, et nous dira ce qu'elles sont sans nous parler de ce qu'elles devraient être. Elle sera ensuite comparative ; elle nous promènera dans l'espace pour nous faire comparer les mœurs des différents peuples, celles du sauvage et de l'homme civilisé, et aussi dans le temps pour nous faire comparer celles d'hier et celles d'aujourd'hui. Elle cherchera enfin à devenir explicative, et c'est là l'évolution naturelle de toute science.

Les darwinistes chercheront à nous expliquer pourquoi tous les peuples connus se soumettent à une loi morale, en nous disant que la sélection naturelle a fait depuis longtemps disparaître ceux qui avaient été assez maladroits pour chercher à s'y soustraire. Les psychologues nous expliqueront pourquoi les prescriptions de la morale ne sont pas