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uns seront avant tout sensibles à la pitié, ils seront remués par les souffrances d’autrui. Les autres subordonneront tout à l’harmonie sociale, à la prospérité générale ; ou bien encore ils souhaiteront la grandeur de leur pays. D’autres peut-être auront un idéal de beauté, ou bien ils croiront que notre premier devoir est de nous perfectionner nous-mêmes, de chercher à devenir plus forts, à nous rendre supérieurs aux choses, indifférents à la fortune, de ne pas déchoir à nos propres yeux.

Toutes ces tendances sont louables, mais elles sont différentes ; peut-être sortira-t-il de là un conflit. Si la science nous montre que ce conflit n’est pas à craindre, si elle prouve qu’on ne saurait atteindre l’un de ces buts sans viser à l’autre (et cela est de sa compétence), elle aura fait une œuvre utile, elle aura apporté aux moralistes une aide précieuse. Ces troupes qui jusque-là combattaient en ordre dispersé, et où chaque soldat marchait vers un objectif particulier, vont maintenant serrer les rangs, parce qu’on leur aura démontré que la victoire de chacun est la victoire de tous. Leurs efforts seront coordonnés, et la foule inconsciente deviendra une armée disciplinée.

Est-ce bien dans ce sens que marche la science ? Il est permis de l’espérer ; elle tend de plus en plus à nous montrer la solidarité des diverses par-