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quelque chose de plus grand que nous ; elle nous offre un spectacle toujours renouvelé et toujours plus vaste ; derrière ce qu'elle nous montre de grand, elle nous fait deviner quelque chose de plus grand encore ; ce spectacle est pour nous une joie, mais c'est une joie dans laquelle nous nous oublions nous-mêmes et c'est par là qu'elle est moralement saine.

Celui qui y aura goûté, qui aura vu, ne fût-ce que de loin, la splendide harmonie des lois naturelles, sera mieux disposé qu'un autre à faire peu de cas de ses petits intérêts égoïstes ; il aura un idéal qu'il aimera mieux que lui-même, et c'est là le seul terrain sur lequel on puisse bâtir une morale. Pour cet idéal, il travaillera sans marchander sa peine et sans attendre aucune de ces grossières récompenses qui sont tout pour certains hommes; et quand il aura pris ainsi l'habitude du désintéressement, cette habitude le suivra partout ; sa vie entière en restera comme parfumée.

D'autant plus que la passion qui l'inspire, c'est l'amour de la vérité et un tel amour n'est-il pas toute une morale ? Y a-t-il rien qu'il importe plus de combattre que le mensonge, parce que c'est un des vices les plus fréquents chez l'homme primitif et l'un des plus dégradants ? Eh bien, quand nous aurons pris l'habitude des méthodes scientifiques, de leur scrupuleuse exactitude, l'horreur de tout