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formé en un ensemble bien ordonné ; les Cantoriens seront séduits par la rigueur, réelle ou apparente, de la démonstration ; les Pragmatistes lui répondront : Vous dites que vous pouvez transformer l'espace en un ensemble bien ordonné ; eh bien ! transformez-le. — Ce serait trop long. — Alors montrez-nous au moins que quelqu'un qui aurait assez de temps et de patience pourrait faire la transformation. — Non, nous ne le pouvons pas parce que le nombre des opérations à faire est infini, il est même plus grand que Alephzéro. — Pouvez-vous montrer comment on pourrait exprimer en un nombre fini de mots la loi qui permettrait d'ordonner l'espace ? — Non — et les Pragmatistes concluent que le théorème est dénué de sens, ou faux, ou tout au moins indémontré.

Les Pragmatistes se placent au point de vue de l'extension et les Cantoriens au point de vue de la compréhension. Quand il s'agit d'une collection finie, cette distinction ne peut intéresser que les théoriciens de la logique formelle ; mais elle nous apparaît comme beaucoup plus profonde en ce qui concerne les collections infinies. Si on se place au point de vue de l'extension, une collection se constitue par l'adjonction successive de nouveaux membres ; nous pouvons en combinant les objets anciens construire des objets nouveaux, puis avec ceux-ci des objets encore plus nouveaux, et si la