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que le gouvernement a perdu de son amour pour la vérité ; ce qui serait calomnier le roi, et ceux des hommes employés à l’administration qui sont dignes de la confiance dont il les honore.

Mais, me dira-t-on peut-être, comment a-t-il pu vous entrer dans la tête que la poste se chargerait en France de distribuer un ouvrage qui débute par des Mémoires sur la Bastille ! Vous n’y faites sûrement pas l’apologie de ce terrible entrepôt ; et comment voulez-vous que la police qui le dirige, le ministère qui le choie, en autorisent la censure, ou, ce qui revient au même, la description ? Il y a des choses où les hommes en place peuvent laisser le droit de dire, pourvu qu’ils conservent celui de faire ; mais la Bastille n’est pas de ces choses-là ; il faut ou la détruire, ou empêcher qu’on sache ce que c’est ; et croyez-vous qu’on veuille la détruire ?

Mais je demande à mon tour comment on empêcherait désormais que le public la connaisse ? Mes Mémoires sont imprimés. Au moment où ceci deviendra public, ils seront en route pour se répandre dans toute l’Europe. Il n’y a pas de moyen humain capable de les anéantir ou de les écarter même de la France : l’intérêt est trop vif et la curiosité trop légitime. On aurait beau multiplier les sbires, les exempts, etc., ils transpireraient par tous les pores du royaumes ; ils se joueraient de la sagacité de la police parisienne avec autant de succès au moins qu’elle se joue avec atrocité de la personne des infortunés qui en ont fourni la matière.

Mais, de plus, sous quel prétexte essaierait-on même de l’autoriser à les supprimer ? Qu’on y prenne garde, ce n’est pas ici un libelle, une de ces déclamations anonymes qui se perdent ou s’oublient sans laisser de traces, et dont les honnêtes gens concourent à opérer la suppression, même sans y être forcés par le despotisme qu’elles inquiètent. Je signe. Ce sont des faits dont je me déclare garant, et qui ont autant de témoins que la Bastille a fait de victimes. C’est une tyrannie monstrueuse que je dénonce à l’Europe, au souverain équitable dont elle compromet le nom et le règne. Quel sera, même dans le ministère français, le personnage qui osera s’en déclarer le protecteur quand elle sera bien dévoilée ?