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de boutique, pour les sieurs portefaix, pour la petite charrette, et, qui plus est, pour l’auteur.

Tous les garçons boulangers, tous les compagnons menuisiers de la Cité, tous les ouvriers de la rue des Arcis, tous les mal-peignés qui font sentinelle à la porte du café…, bref, toute la haute et basse racaille des petites rues qui avoisinent le susdit pont Notre-Dame, se portaient en foule à la porte du susdit libraire pour être témoins du départ des Lunes, et l’affluence peuplait tellement la rue depuis Saint-Denis de la Chartre jusqu’à Saint-Jacques de la Boucherie, que les voitures n’y passaient qu’à leur corps défendant…

Il était presque nuit, ou, si vous l’aimez mieux, inducebant jam sera crepuscula noctem… et la lune avait donné vacance aux réverbères, ou, si vous l’aimez mieux, noce erat et cœlo splendebat luna sereno ; l’heure du départ approche, le signal est donné, on part…

Les Lunes, qui devaient passer devant la Samaritaine, prirent une autre route ; et la petite charrette, sans doute poussée par une influence, passa par la rue des Arcis, la rue des Lombards, la rue de la Ferronnerie, la rue Saint-Honoré, en face du café David, où les joueurs de dominos, ayant suspendu leurs importantes fonctions, s’étaient rangés en haie devant la porte pour voir passer les Lunes…

Toutes les fenêtres des maisons qui font les coins des rues Saint-Honoré, des Prouvaires et du Roule, étaient louées fort cher, vu la multitude innombrable des curieux de tout sexe, de toute taille, portant perruque ou autrement, qui avaient envoyé retenir des places un mois auparavant.

Les mamans, portant leurs petits enfants dans leurs bras, leur disaient : Les voilà ! les voilà ! Tout le monde regardait… et puis ce n’était pas cela ; c’était autre chose… et on disait : Non, ne les voilà pas…

Enfin, les Lunes sont arrivées à bon port ; et la garde de Paris, qui n’était pas plus considérable qu’à l’ordinaire, a néanmoins empêché le tumulte et prévenu tout accident fâcheux.