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Un exemple en fera juger.

Le n° 34, du 25 août, de l’année 1773, est, dans l’exemplaire de la Bibliothèque impériale, en double état. Le premier contient, sous le titre de Une pensée à la Sénèque, l’article que voici :

La nature et la société forment ensemble le plus grand spectacle qui puisse jamais remplir l’esprit. La nature produit tout, et les hommes qui composent la société usent et abusent de tout. Quelle richesse et quelle profusion dans cette bienfaisante nature ! Quel serait le bonheur des hommes, si l’avidité du plus petit nombre n’en privait la plus grande partie ! Il n’est plus possible de rechercher l’origine des possessions ; les plus légitimes ou les plus anciennes auraient peut-être bien de la peine à soutenir l’examen le moins rigoureux. Mais, sans tomber dans le cynisme, peut-on considérer de sang-froid l’inconcevable inégalité du partage qui s’est fait parmi les hommes dans l’état de société ? D’un côté toute la peine, tout le travail, toute la misère ; de l’autre toutes les aises de la vie, la mollesse, l’oisiveté, etc. Est-il donc deux espèces d’hommes ? La nature a-t-elle formé la portion la plus nombreuse pour les privations, et la plus petite pour les jouissances ? La nature ne donne rien pour rien ; la terre la plus fertile exige à peu près la même culture et presque autant de travail que celle qu’on défriche. Or, c’est ici l’affaire des hommes ; il faut bien qu’ils en soient chargés. Mais par quelle étrange politique ceux qui sont devenus les maîtres n’ont-ils établi leur bien-être que sur la misère réelle du plus grand nombre de ceux qui leur sont soumis ? [Comment en est-on venu jusqu’à penser même que l’homme le plus utile doit être en même temps le plus malheureux ; que celui qui cultive la terre et qui l’arrose de ses sueurs doit manger le plus mauvais pain, ou s’en passer quand l’exigera l’intérêt des monopoleurs ; que le vigneron, pour prix de ses travaux, ne doit point boire de vin, ou boire la lie de ses cuves ? Car ce rare secret, le fisc l’a trouvé dans tous les pays