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trer quel est leur avis sur cette matière, même en notre âge et en celui de nos pères. »


« Feu mon père (dit le sieur de Montagne, dans le xxxive chapitre de ses Essais), homme, pour n’être aidé que de l’expérience et du naturel, d’un jugement bien net, m’a dit autrefois qu’il avait désiré mettre en train qu’il y eût ès villes certain lieu désigné auquel ceux qui auraient besoin de quelque chose se pourraient adresser, et faire enregistrer leur affaire à un officier établi pour cet effet. Comme je cherche à vendre des perles, je cherche des perles à vendre ; tel veut compagnie pour aller à Paris ; tel s’enquiert d’un serviteur de telle qualité, tel d’un maître ; tel demande un ouvrier ; qui ceci, qui cela, chacun selon son besoin. Et semble que ce moyen de nous entr’advertir apporterait non légère commodité au commerce public. Car à tous coups il y a des conditions qui s’entrecherchent, et pour ne s’entr’entendre laissent les hommes en extrême nécessité. J’entends avec une grande honte de notre siècle qu’à notre vue deux très-excellents personnages en savoir sont morts en état de n’avoir pas leur saoul à manger : Lilius Gregorius Giraldus[1] en Italie, Sebastianus Castalio[2] en Allemagne. Et crois qu’il y a mille hommes qui les eussent appelés avec de très-avantageuses conditions, ou les eussent secourus où ils étaient, s’ils l’eussent su. Le monde n’est pas si généralement corrompu que je ne sache tel homme qui souhaiterait de bien grande affection que les moyens que les biens lui ont mis en main se pussent employer à mettre à l’abri de la nécessité les personnes rares et remarquables en quelque espèce de valeur, que le malheur combat quelquefois jusques à l’extrémité, et qui les mettrait pour le moins en tel état qu’il ne tiendrait qu’à faute de bon discours s’ils n’étaient contents. »

  1. Giglio Gregorio Geraldi, né à Ferrare en 1489, y mourut en 1552. Ses ouvrages, dont les principaux sont l’Histoire des dieux et les Dialogues sur les poètes, ont été recueillis par Jensius dans la belle édition de Leyde, 2 vol. in-fol., 1696.
  2. Sébastien Chasteillon, Dauphinois, né en 1515, mort en 1563. Il est connu surtout par sa version latine de la Bible, où il affecte de ne parler que la langue cicéronienne. Voy. Bayle, au mot Castalion.