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decins de Paris m’ont toujours fait la guerre, et n’ont jamais voulu souffrir que je fisse la médecine dans la ville, tant à cause que je ne suis pas docteur de leur faculté, ny capable de l’estre, qu’à cause de la profession de gazetier, qui n’est pas plus honorable que celle de courtier d’amour. À cette fin, il y eut grand procez entre nous, qui demeura indécis par la faveur de Monseigneur le Cardinal : car, tant qu’il vescut, je pratiquay la médecine, en faisant la nique aux médecins[1], souz son authorité ; mais il ne fut pas sitost passé, que ces messieurs reprennent leurs brisées. Il fallut plaider à la grand’chambre, où, quoy que le sieur Bataille, mon advocat, sceust dire en ma faveur, et des services que je rendois au public à l’occasion de mon Bureau de rencontre, M. Talon, advocat général, ne se contenta pas de conclure contre moy en faveur des médecins, mais encore, remonstrant l’impiété de mon Mont-de-Piété, et l’usure abominable que j’exerçois sous le prétexte des prêts et ventes à gage, il demanda qu’il me fust interdit, souz de grièves peines, de n’en plus user à l’advenir ; et, ses conclusions suivies de point en point, je me vis en un moment privé de l’exercice de la médecine, dont je ne me souciois pas beaucoup, mais encore de celui des prests sur gage, dont je tirois plus de profit en une sepmaine que trois courtiers de change en un mois des inventions dont ils se servent en leur mestier. Or, que V. E. voye maintenant si la prophétie n’est pas bien claire, dans laquelle mesme les advocats qui ont parlé en la cause sont nommez, et s’il pouvoit mieux exprimer la mort de Monsieur le cardinal que par le premier vers : car, le nommant le grand Paon, il fait allusion au dieu des Faunes et des Satyres, comme son Éminence l’estoit des maltôtiers, aussi bien que la vostre. Au second vers, il me dit venir du costé d’Aquilon, parce que Loudun, lieu de ma naissance est aquilonaire à l’égard de Marseille, où Nostradamus faisoit sa demeure ; et pour les autres deux vers, on ne sçauroit exprimer plus clairement les vains efforts du sieur Bataille contre les médecins, sous le nom d’Escu-

  1. C’est précisément ce que disoit Guy Patin dans un passage que nous avons cité : « Si ce Gazettier n’étoit soutenu de l’Éminence… Mais il faut obéir au temps. »