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LA PEUR

priait. Longtemps, ils demeurèrent là, tous deux, figés dans leur pose, elle à genoux et lui debout, double statue sur un piédestal de tempête, et la mer oubliée hurlait en cercle autour du couple.

Le marin regardait toujours, et l’alcool lui courait dans les veines : il sourit béatement à ce dos penché, à cette nuque où frisaient des cheveux mouillés, à cette croupe tendue de la femme qui lui semblait belle : et tout à coup, il se ressouvint qu’il l’aimait.

Un brusque afflux de sang lui monta du cœur à la tête, et, les yeux noyés, la face élargie par un rire muet, il tendit les paumes vers la rondeur de ces hanches. Mais la femme, soit qu’elle perçût le bruit ou qu’elle sentît l’approche, se retourna et, d’instinct, elle se mit debout, tandis qu’il reculait, intimidé : elle n’avait pas vu le geste libidineux, mais le gars lui semblait bizarre, avec son rire bête et ses deux bras ouverts. Brusquement, il cessa de rire, et sa mine devint féroce : comme on empoignerait une arme, il saisit la gourde pendue à son côté, et téta du courage.

— Bois pas tant…