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LA PEUR

— Te passer de nous, le pourrais-tu, dis ? Tu ne le pourrais pas, dis ?

Vivant, non, je ne l’aurais pas pu, c’est vrai, et c’est certain ; je le savais aussi bien qu’elle a pu le savoir. Mais Berthe n’a pas songé qu’on peut mourir, et que, une fois mort, on se passe de tout. Elle a eu tort de ne pas songer à cela, et de ne pas se dire que si la torture du doute demeurait supportable, la certitude ne serait pas supportée par un homme tel que moi, et que nous en mourrions, elle et moi, tous les deux : elle, pour que nul ne touchât plus sa chair ; moi, pour n’avoir pas à vivre sans la possession de son corps.

Elle ne s’est pas dit cela ! Elle en est morte.

Le jour où la preuve est venue, la mort est entrée avec elle, chez nous. Dans la minute même, l’idée de la mort nécessaire, indispensable pour nous deux, s’est installée en moi. Je n’ai pas hésité. Je n’avais pas le choix : lorsqu’il n’y a plus moyen de vivre, on meurt.

C’est tout de même curieux, l’homme : une espèce de calme s’est fait en moi,